Femmes satellites

Par Annelyne Roussel

Pamela Des Barres est au premier plan, avec le chapeau bleu.

«Le terme groupie a toujours eu une connotation sulfureuse. Mais les gens ne savent pas exactement ce qu’il signifie. Je vais donc tenter de vous l’expliquer : il réfère tout simplement à l’amour de la musique et au désir de s’en approcher.»

- Pamela Des Barres

Chère Catherine, 

Est-ce que je t’ai déjà parlé de ma fascination pour les groupies? La plus iconique d’entre toutes se nomme Pamela des Barres. En 1966, c’est son engouement pour le rock qui l’a poussée à franchir les obstacles menant à la loge des Byrds, le premier groupe qu’elle a rencontré. Par la suite, elle a fréquenté Jim Morisson, Jimmy Page et Mick Jagger, pour ne nommer que ceux-là. Les musiciens exerçaient sur elle un attrait irrésistible, comme s’ils détenaient un secret cosmique. La jeune Californienne voulait s’approcher de la musique au point de pouvoir y goûter. C’était sa quête et rien ne pouvait l’arrêter. 

Les groupies de cette époque portent en elles un paradoxe. Produits de la révolution sexuelle, elles brisaient les barrières en s’affichant fièrement au bras de leurs conquêtes. Cependant, une liaison avec un richissime Dieu-du-rock-ayant-une-fille-dans-chaque-ville est forcément asymétrique. Ils personnifiaient les astres solaires de la grande révolution musicale ; elles, les satellites gravitant autour d’eux.

Âgée aujourd’hui de 73 ans, celle qu’on surnomme Miss Pamela pose néanmoins un regard serein sur cette période tumultueuse.

Dans l’ombre des rock stars, elle a su s’attirer sa part de lumière, notamment en publiant plusieurs best sellers dans lesquels elle raconte avec talent sa vie rocambolesque. 

Son livre I’m with the Band : Confessions d’une groupie donne l’impression que Des Barres a vécu la gloire par procuration. Elle s’y remémore la fois où le groupe Led Zeppelin lui a permis de monter sur scène pendant un spectacle. Trônant sur un amplificateur, elle s’abreuvait de l’amour de milliers de fans. Aurait-elle rêvé d’être musicienne? Entre 1968 et 1970, elle a fait partie des GTO (Girls Together Outrageously), une formation musicale constituée de groupies. Ne maitrisant aucun instrument, leurs prestations s’apparentaient à des performances. Elles ont d’ailleurs fait la première partie de Frank Zappa (lui-même à l’origine de la création et de la dissolution du groupe).

À une époque où les hommes (hétérosexuels et blancs) dominaient la musique rock, quelle place pouvaient espérer les femmes? La reine des groupies est tout de même fière d’avoir exercé son influence en tant que « muse ».

Mme Des Barres, rayonnante, lors d’une lecture publique.

Lorsque j’étais à l’école secondaire, comme plusieurs de mes copines, j’ai assisté à la pratique de skateboard des garçons. Cet épisode me rappelle que nous étions souvent reléguées au rôle de spectatrices, voire de groupies. À l’adolescence, quand ce n’était pas la planche à roulettes ou le bâton de hockey, la guitare faisait partie du « kit de départ » de la masculinité. Ainsi, il nous semblait naturel d’encourager les gars lors de leurs pratiques de musique ou de les accompagner d’une voix chevrotante tandis qu’ils grattaient leur instrument près d’un feu. Toi-même, chère Catherine, tu m’as fait part de ton rêve déchu de devenir guitariste….

Plutôt que de jouer les rock stars, pourquoi glissons-nous si facilement en position de groupie? 

Serait-ce parce que…

Les artistes masculins dominent encore l’industrie musicale?

Les hommes s’intéressent très peu à la musique des femmes? 

Notre socialisation nous pousse à prendre soin des autres au lieu de se mettre de l’avant? 

Les femmes manquent d’espaces et de temps pour exprimer leur créativité? 

Le mode de vie de rock star convient mal à celles qui choisissent d’être mères?

Nous manquons de modèles féminins incarnant la rébellion propre au rock, au punk, au hip hop? 

Nous avons de la difficulté à estimer que ce que l’on fait est valable?

Je suis certaine que tu pourrais ajouter des entraves à cette liste. Dans l’épilogue de I’m with the Band, Pamela Des Barres écrit : « J’ai passé énormément de temps à minauder rêveusement et à m’occuper d’âmes créatives et – miracle entre les miracles – j’ai fini par reconnaître le potentiel créatif de ma propre petite âme. » Je me réjouis de voir briller l’esprit libre et inventif de Miss Pamela. Elle apporte un éclairage inédit sur l’âge d’or du rock, qu’elle a vécu de l’intérieur.

Toutefois, je ne peux m’empêcher de penser que dans un monde qui aurait réglé ses comptes avec le patriarcat, la plus célèbre des groupies serait devenue une rock star.

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Il bouge comme un vrai garçon!