Femmes sur papier glacé au supermarché
En file pour payer à l’épicerie, je remarque des regards langoureux qui se posent sur moi et mon panier. Ces femmes de papier tentent-elles de me séduire?
Par Catherine Gagnon
À chaque année, la fin de l’été qui se pointe rime avec un curieux mélange de joie, de fébrilité et de culpabilité: c’est l’arrivée des magazines de mode du mois de septembre.
Les fameuses September Issues!
L’édition de septembre du Vogue américain, toujours dirigée par l’impitoyable Anna Wintour, m’a rarement déçue. La une est toujours attendue et remarquable, avec une position éditoriale pertinente. Aussi, ce magazine présente plusieurs créateur•rice•s émergeant•e•s. S’il contient beaucoup de publicités, elles sont pour la plupart d’une grande qualité esthétique.
Cette année, si l’édition du Vogue de septembre, avec la triomphante Serena William en une, m’a procuré les moments de détente escomptés, les éditions québécoises de Elle et de Clin d’Œil m’ont laissé un arrière-goût désagréable, un gros sentiment de malaise et bien des interrogations. Suzanne Clément et Kim Lizotte prennent la pose sur la une respective de ces magazines et tentent vraisemblablement de me séduire; elles jettent sur moi des regards langoureux, érotiques.
Seigneur, des vedettes veulent coucher avec moi!? Dans un même temps, elles semblent me mettre au défi de les rejoindre dans une compétition impitoyable pour séduire les hommes. Quelle trahison!
Je ne porte aucun jugement sur ce que les femmes font de leur corps et ne lisez pas ici une forme de puritanisme de ma part! Libres à elles de l’exposer comme elles l’entendent. Par contre, il convient de questionner les mécanismes qui encouragent la sexualisation et l’érotisation des corps des célébrités québécoises en une des magazines destinées principalement… aux femmes.
A-t-on affaire au classique male gaze, c’est-à-dire à la perspective masculine sur le corps féminin?
Dans le cas de l’édition de septembre 2022 du magazine Clin d’Œil avec Kim Lizotte en couverture, une femme est à l’œuvre côté stylisme, pendant que la direction artistique est assurée par un homme. Pourquoi une équipe mixte chercherait-elle alors à transmettre une telle charge érotique et séductrice? Les femmes présentes lors du shooting auraient-elles intégré des codes machistes de représentation des femmes? Sur son site, Clin d’Œil se définit pourtant comme un magazine qui « décode les tendances mode et beauté de manière accessible en reflétant la diversité ». Il serait aussi « une source incontournable d’inspiration pour celles qui veulent appliquer les tendances à leur âge, à leur taille et à leur origine, dans la vie de tous les jours.»
De quelle diversité parle-t-on ici?
Du côté du Elle Québec, l’édition de septembre met en vedette la comédienne Suzanne Clément. Ici, je remarque un peu plus d’audace: on «ose» montrer les quelques rides de cette femme de 53 ans, sans chercher à les gommer sous Photoshop. Bien joué! Après les fleurs, le pot: l’actrice met en scène des codes de séduction. Elle se mord le pouce et nous regarde de façon coquine, sexy, dévoilant une partie de son sein droit à travers une robe structurée autour d’une ouverture oblique qui laisse voir une partie du corps.
Pour moi, il ne s’agit pas tant ici de male gaze, car Kim Lizotte et Suzanne Clément n’apparaissent pas seulement comme objets de désir, mais aussi en contrôle de leur corps et de leur carrière: elles sont des sujets de désir.
C’est surtout l’hypersexualisation des corps qui me rend perplexe. Est-ce nécessaire?
Le problème semble en effet résider dans cette glorification du désir: qu’il soit représenté sous un regard féministe et bienveillant ou au contraire, traditionnellement machiste, pourquoi cherche-t-on absolument à montrer ce désir, à sexualiser les corps dans un magazine destiné principalement aux femmes?
Est-ce là un exemple du fameux girl power!?
Pourrait-on dresser des parallèles entre la sexualisation des corps, la construction de la féminité et la société de consommation? Il semble que la culture actuelle fait la promotion de discours autour du sexe, lequel devient lié à la jeunesse, à la liberté et à la consommation. Depuis quand les concepts de «style, d’esthétique et de mode» riment-ils avec celui de «sexualité»?
Bref, il conviendrait d’adoucir les contours de toute forme de sexualisation du corps des femmes pour faire un pied de nez à la fois au patriarcat et au capitalisme, qui semblent se nourrir de ces injonctions à la séduction à travers des codes hypersexualisés.
On voit moins ces représentations en couverture du Vogue américain…
Si on y représente souvent la jeunesse et la beauté selon des codes standards, les femmes affichent des poses simples, honnêtes. On met en évidence leur empowerment, leurs prises de position politique, leur créativité. Elles se tiennent debout, nous regardent à travers la lentille d’une caméra qui ne vient pas les objectiver, mais bien les mettre en valeur pour ce qu’elles sont. Des femmes qui aiment la mode, qui ont des idées et ne s’en cachent pas.